Théâtres d'invention:écrits
LE SCÉNOGRAPHE ET SON MODÈLE/1

1

"Dédales en ses murs"

ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE PICHOU, 29 JANVIER 2011
PROPOS RECUEILLIS PAR MONIQUE PHIDOUCI

Dominique Pichou, pouvez-vous nous présenter votre travail, les « Théâtres d’Invention »?

Cette exposition est un parcours. J’y invite les spectateurs à me suivre dans le théâtre : le théâtre comme lieu, à la fois édifice et machine. Je vais leur montrer quelques directions, mais surtout, laisser leur imaginaire les guider parmi ces murs, ces charpentes, aux cintres, dans les dessous, dans ce monde qui est celui de l’illusion et du mystère…
Pour moi, comme scénographe, c’est une escapade que je fais, en liberté, dans les marges de mon métier !

Vous faites donc une distinction très nette entre votre travail de scénographe et celui-ci

Oui, bien sûr ! alors qu’elles fréquentent le même univers (le théâtre et la représentation) et utilisent, à un certain moment, les mêmes moyens d’expression (esquisse, dessin, maquette à plat ou en volume) il s’agit bien de deux démarches différentes. En effet, le scénographe produit un objet qui s’inscrit dans la réalité, celle d’un spectacle qui va avoir lieu, tandis que, les « Théâtres d’Invention » sont des utopies et ne sont tenus à aucune obligation. Cela leur confère le pouvoir de se placer et déplacer, à leur guise, entre réel et imaginaire, de jouer de l’illusion en toute liberté.

Pensez-vous qu’il y ait un élément qui marque la frontière entre ces deux types de création?

Oui : le texte !
Que ce soit sous la forme d’une « pièce » au théâtre ou d’un « ouvrage » à l’opéra, le scénographe et toute l’équipe qui monte un spectacle est au service d’un texte, d’un texte qui préexiste, un prétexte! Un auteur a parlé le premier. Ici, c’est différent : je travaille sans texte. J’ai envie de dire : en amont du texte, d’un texte qui serait à venir.
Car si mes théâtres sont silencieux, muets, je serais vraiment ravi qu’ils puissent provoquer un auteur à écrire. Les « Théâtres d’Invention » deviendraient prétextes à leur tour, dans un bel effet de miroir ! C’est le sens et la raison des ateliers d’écriture qui ont leur place auprès de cette expo.

Nous ne verrons donc pas votre travail de scénographe?

Non, ce n’est pas l’endroit. Si vous ne l’avez pas vu en scène, vous ne le verrez pas ici : ni une anthologie des décors et costumes que j’ai faits, ni un recueil de mes utopies scénographiques.
Un jour peut être, je mettrai le nez dans plus de trente années d’archives, j’en ressortirai quelques maquettes de décors et costumes…

Et la maquette ? quel sens a-t-elle pour vous ? prend-elle ici un statut particulier?

La maquette est traditionnellement, l’outil privilégié du scénographe (je dis traditionnellement, car il existe maintenant, des systèmes informatiques de modélisation 3D qui prennent la relève des maquettes de carton !), un outil de recherche d’abord, et un outil de communication ensuite. Mais ce n’est qu’un outil ! J’ai dû en fabriquer pas loin d’une centaine au fil des années, toujours avec un très grand plaisir.
J’ai constaté la joie que procurent ces petits édifices de carton et de balsa à ceux qui les regardent. Un sourire émerveillé vient éclairer leurs visages, qui semble remonter de très loin : des contrées de l’enfance où sont les trains électriques, les soldats de plomb, les crèches, les vitrines de Noël et les maisons de poupée !
Dans les « Théâtres d’Invention », n’étant lié à aucune obligation de réel, j’ai pu lui tordre un peu le nez, à la maquette, et en tirer quelques effets qu’elle ne révèle pas d’ordinaire. Ainsi j’ai pris toute liberté avec la notion d’échelle et me suis amusé, aussi, à quelques effets d’optique : miroirs, kaléidoscopes, mise en abyme…

Il n’y a pas de personnages dans vos théâtres

Non, en effet ! ou enfin, très peu, car il y a Icare ! Le ou les bonhommes que je pourrais introduire seraient fixes et muets, le spectateur, lui, se glisse dans l’espace, il s’y promène et lui donne vie.
Je mets, d’ailleurs, à sa disposition pas mal d’échelles, de coursives, de galeries, trappes, et autres marches : tout un inventaire de chemins à arpenter ! De plus, placer des personnages donnerait un repère d’échelle et je préfère ne pas fixer de mesure : cette imprécision est une liberté. C’est encore au spectateur de choisir, selon les repères qu’il voudra, s’il est dans le grand ou le petit !

Cette exposition est destinée à « tourner »… pourquoi souhaitez-vous que ce soit d’abord, dans des théâtres?

Pour ajouter encore une nouvelle strate au jeu de mise en abyme (et en boites) dans lequel je veux entraîner les spectateurs !

Depuis quand portez-vous ce projet et quelle en a été la genèse?

J’ai lancé les bases concrètes du projet en 2008, mais il m’a fallu, par la suite, mettre tout cela un peu de côté pour me consacrer à plusieurs spectacles. Fin 2010, Maurice Xiberras, directeur de l’Opéra de Marseille, a remis le projet en selle, et m’a permis d’en réaliser une première partie pour la montrer à son public ! Mais à dire vrai, cette idée fait son chemin dans ma tête depuis beaucoup plus longtemps : je viens de retrouver une coupure de presse de 1995 dans laquelle, déjà, j’évoque un projet de ce type. La région Aquitaine m’avait, à l’époque, proposé de monter une expo rétrospective de mon travail de scénographe et costumier, j’avais dit : « d’accord ! mais, en plus, je réaliserai des maquettes pour l’occasion, sans rapport avec des spectacles ayant existé… ». La commande s’est, par la suite, transformée et l’exposition n’a pas vu le jour…

Pourquoi ce titre : « Théâtres d’Invention »?

L’expo aurait pu s’appeler « Théâtres Imaginaires » ou «Théâtres Rêvés » ou « de Papier »… je me suis arrêté sur cette formule qui est un hommage discret à Piranèse et à ses « Carceri d’Invenzione »…

C’est comme une clé que vous cachez là, à l’instant d’entrer dans votre oeuvre?

Oui, j’aime laisser des indices, dissimuler des signes sur les pistes que j’emprunte. Chacun relèvera ceux qui lui parlent, et je vois que cela ne vous a pas échappé : l’ombre de Piranèse, architecte et scénographe, me rend parfois visite ! et outre la sienne, celle de Giorgio de Chirico, celle d’Aldo Rossi ou d’autres encore. Pas mal d’italiens, non ? Et de plus, certaines pièces ont été spontanément nommées en italien (« Stanzetta », « Tempietto », …). J’imagine que cela provient du fait que notre tradition du théâtre et de la machinerie est arrivée d’Italie ?

Le sous-titre « Le Scénographe & son Modèle /1 » cache-t-il aussi quelque allusion?

C’est, bien sûr, le décalque du fameux « Le Peintre & son Modèle ». « Le Scénographe & son Modèle » est le titre d’une de mes peintures, une sorte d’autoportrait dans lequel le scénographe a face à lui, non pas une jolie femme nue, mais bien la maquette qu’il vient de fabriquer (et « modèle » s’entend, ici, au sens vieilli de « maquette », comme le dit bien Littré. Sens qui d’ailleurs est resté en anglais !). Il regarde cette maquette comme s’il scrutait un miroir et cherchait à s’y (re)connaître ce qui peut laisser entendre le travail du scénographe aussi comme une quête personnelle, une interrogation au plus profond de soi!

Et le « /1 »?

Parce que c’est ici, le premier opus de ma rêverie autour du lieu de théâtre ! Je vais continuer à dérouler ce fil !


2

"Théâtres d'invention"

RAPHAËLE NALLET 02 04 2011

Architecte de formation, peintre et scénographe de pratique et de métier, Dominique Pichou met aujourd’hui son outil de travail privilégié, la maquette, au service de ses rêveries utopiques : les Théâtres d’Invention. Une forêt d’arbres nus s’élève vers un ciel incertain, un crochet de métal balance doucement son mécanisme au-dessus d’une trappe béante, partout l’architecture s’allonge, s’incline, se déploie en de troublantes perspectives. Le temps semble s’être suspendu dans les écrous de ces machineries silencieuses.
Décors délicats sur de lourds piédestaux, les Théâtres d’Invention intriguent par l’énigmatique absence de figure humaine…le spectacle va-t-il commencer ou est-il déjà terminé ?
A en croire les titres et les symboles qui hantent ces oeuvres, il y serait question de mythologie. De Dédale et de son labyrinthe, ou d’Icare aux ailes fragiles, mais aussi, et surtout, d’une mythologie toute personnelle, chargée de l’expérience du scénographe, de son lien si étroit au théâtre et à ses rouages.

Le surréalisme

Dans l’esprit de Piranèse, dont il admire les Carceri d’Invenzione, ou d’Escher avec ses cages d’escaliers, Dominique Pichou se joue des échelles, au sens propre comme au figuré. Où mènent-elles vraiment ? Nul ne le sait, peut-être même pas l’artiste lui-même. Elles sont le cheminement, elles ouvrent la voie du passage du monde réel à celui de l’illusion.


L’illusion, la fiction


« Une fiction permet de saisir la réalité et en même temps ce qu’elle cache » disait déjà Marcel Broodthaers lorsqu’il entendait mettre au jour les engrenages du système artistique. Si la fiction que Dominique Pichou met en place est distillée dans ses décors imaginaires par son esthétique singulière, la réalité qu’il annonce est paradoxalement celle de l’illusion. Dans un élan magrittien il semble proclamer : « Ceci n’est pas le théâtre ». Car ces décors rêvés ne seront jamais investis par les comédiens et leurs tirades. Le charme ubuesque qui les habite nous rappelle qu’ils sont, comme le spectacle, les écrins d’un univers de simulacres et de chimères.


3

"Généalogie"


HOMMAGE À QUELQUES ANCIENS

au départ, pour la période contemporaine :
il y a le POSTMODERNISME en architecture, mouvement qui est apparu pendant ma période de formation à l’école d’archi et qui a permis la relecture et les citations de l’architecture classique. Non sans humour ni une certaine théâtralisation.


chez les modernes :
Alberto GIACOMETI (1901-1966) : pour le socle, l’hiératisme, le sens du singulier, du solitaire, (du sacré ?), le désir de frugalité,
LE CORBUSIER (1887-1965) : pour la poésie des volumes, le sens du rationnel, de la rigueur et de leur transgression,
Giorgio DE CHIRICO (1888-1978) : pour l’étrangeté métaphysique (1912-1919), les espaces scénographiques et les perspectives ivres,
HERGE (1907-1983) : pour les rêves du capitaine Haddock, (et ESCHER (1898-1972), aussi sans doute), un saut de plus d’un siècle, nous porte à la rencontre de :
PIRANESE (1720-1778), bien sûr ! le « grand » : pour l’immensité de ses architectures, il y situe des personnages si minuscules qu’elles n’en deviennent que plus effroyables,
Hubert ROBERT (1733-1808) : pour la poésie des ruines, c’est-à-dire de l’architecture montrant le temps,


un siècle plus tôt encore :
MONSU DESIDERIO (actif 1600-1650) : pour ses mises en scènes tragiques dans des architectures de catastrophe,


un siècle avant encore :
Pierre BRUEGEL (1520-1569) : pour sa « Tour de Babel », sa « Chute d’Icare » et son art de dresser un décor immense, quotidien, serein et d’y placer, minuscule, en un point, un drame immense,


un siècle plus tôt, voici :
GIOTO et PIERO , et aussi UCELO : le Quattrocento florentin qui inventa la perspective,


enfin :
au-delà de ROME qui, par le truchement des nombreux artistes qui ont fait « le voyage », et dont quelques uns sont nommés plus haut, nous a offert ses décors de ruines, de colonnes, chapiteaux à acanthes et autres entablements, arcatures et corniches, et à qui l’on doit aussi les légendes chrétiennes, nous abordons l’immense fond des MYTHES GRECS à l’immortelle actualité.

Ce chemin, résolument orienté vers le sud-est, nous conduit, jusqu’au VI ème siècle avant J-C, aux fondations de notre histoire et au coeur de la Méditerranée, faisant, au passage, une belle traversée de l’ITALIE.