Dominique Pichou, pouvez-vous nous présenter votre travail, les « Théâtres dInvention »?
Cette exposition est un parcours. Jy invite les spectateurs à me suivre dans le théâtre : le théâtre comme lieu, à la fois édifice et machine. Je vais leur montrer quelques directions, mais surtout, laisser leur imaginaire les guider parmi ces murs, ces charpentes, aux cintres, dans les dessous, dans ce monde qui est celui de lillusion et du mystère
Pour moi, comme scénographe, cest une escapade que je fais, en liberté, dans les marges de mon métier !
Vous faites donc une distinction très nette entre votre travail de scénographe et celui-ci
Oui, bien sûr ! alors quelles fréquentent le même univers (le théâtre et la représentation) et utilisent, à un certain moment, les mêmes moyens dexpression (esquisse, dessin, maquette à plat ou en volume) il sagit bien de deux démarches différentes. En effet, le scénographe produit un objet qui sinscrit dans la réalité, celle dun spectacle qui va avoir lieu, tandis que, les « Théâtres dInvention » sont des utopies et ne sont tenus à aucune obligation. Cela leur confère le pouvoir de se placer et déplacer, à leur guise, entre réel et imaginaire, de jouer de lillusion en toute liberté.
Pensez-vous quil y ait un élément qui marque la frontière entre ces deux types de création?
Oui : le texte !
Que ce soit sous la forme dune « pièce » au théâtre ou dun « ouvrage » à lopéra, le scénographe et toute léquipe qui monte un spectacle est au service dun texte, dun texte qui préexiste, un prétexte! Un auteur a parlé le premier. Ici, cest différent : je travaille sans texte. Jai envie de dire : en amont du texte, dun texte qui serait à venir.
Car si mes théâtres sont silencieux, muets, je serais vraiment ravi quils puissent provoquer un auteur à écrire. Les « Théâtres dInvention » deviendraient prétextes à leur tour, dans un bel effet de miroir ! Cest le sens et la raison des ateliers décriture qui ont leur place auprès de cette expo.
Nous ne verrons donc pas votre travail de scénographe?
Non, ce nest pas lendroit. Si vous ne lavez pas vu en scène, vous ne le verrez pas ici : ni une anthologie des décors et costumes que jai faits, ni un recueil de mes utopies scénographiques.
Un jour peut être, je mettrai le nez dans plus de trente années darchives, jen ressortirai quelques maquettes de décors et costumes
Et la maquette ? quel sens a-t-elle pour vous ? prend-elle ici un statut particulier?
La maquette est traditionnellement, loutil privilégié du scénographe (je dis traditionnellement, car il existe maintenant, des systèmes informatiques de modélisation 3D qui prennent la relève des maquettes de carton !), un outil de recherche dabord, et un outil de communication ensuite. Mais ce nest quun outil ! Jai dû en fabriquer pas loin dune centaine au fil des années, toujours avec un très grand plaisir.
Jai constaté la joie que procurent ces petits édifices de carton et de balsa à ceux qui les regardent. Un sourire émerveillé vient éclairer leurs visages, qui semble remonter de très loin : des contrées de lenfance où sont les trains électriques, les soldats de plomb, les crèches, les vitrines de Noël et les maisons de poupée !
Dans les « Théâtres dInvention », nétant lié à aucune obligation de réel, jai pu lui tordre un peu le nez, à la maquette, et en tirer quelques effets quelle ne révèle pas dordinaire. Ainsi jai pris toute liberté avec la notion déchelle et me suis amusé, aussi, à quelques effets doptique : miroirs, kaléidoscopes, mise en abyme
Il ny a pas de personnages dans vos théâtres
Non, en effet ! ou enfin, très peu, car il y a Icare ! Le ou les bonhommes que je pourrais introduire seraient fixes et muets, le spectateur, lui, se glisse dans lespace, il sy promène et lui donne vie.
Je mets, dailleurs, à sa disposition pas mal déchelles, de coursives, de galeries, trappes, et autres marches : tout un inventaire de chemins à arpenter ! De plus, placer des personnages donnerait un repère déchelle et je préfère ne pas fixer de mesure : cette imprécision est une liberté. Cest encore au spectateur de choisir, selon les repères quil voudra, sil est dans le grand ou le petit !
Cette exposition est destinée à « tourner »
pourquoi souhaitez-vous que ce soit dabord, dans des théâtres?
Pour ajouter encore une nouvelle strate au jeu de mise en abyme (et en boites) dans lequel je veux entraîner les spectateurs !
Depuis quand portez-vous ce projet et quelle en a été la genèse?
Jai lancé les bases concrètes du projet en 2008, mais il ma fallu, par la suite, mettre tout cela un peu de côté pour me consacrer à plusieurs spectacles. Fin 2010, Maurice Xiberras, directeur de lOpéra de Marseille, a remis le projet en selle, et ma permis den réaliser une première partie pour la montrer à son public ! Mais à dire vrai, cette idée fait son chemin dans ma tête depuis beaucoup plus longtemps : je viens de retrouver une coupure de presse de 1995 dans laquelle, déjà, jévoque un projet de ce type. La région Aquitaine mavait, à lépoque, proposé de monter une expo rétrospective de mon travail de scénographe et costumier, javais dit : « daccord ! mais, en plus, je réaliserai des maquettes pour loccasion, sans rapport avec des spectacles ayant existé
». La commande sest, par la suite, transformée et lexposition na pas vu le jour
Pourquoi ce titre : « Théâtres dInvention »?
Lexpo aurait pu sappeler « Théâtres Imaginaires » ou «Théâtres Rêvés » ou « de Papier »
je me suis arrêté sur cette formule qui est un hommage discret à Piranèse et à ses « Carceri dInvenzione »
Cest comme une clé que vous cachez là, à linstant dentrer dans votre oeuvre?
Oui, jaime laisser des indices, dissimuler des signes sur les pistes que jemprunte. Chacun relèvera ceux qui lui parlent, et je vois que cela ne vous a pas échappé : lombre de Piranèse, architecte et scénographe, me rend parfois visite ! et outre la sienne, celle de Giorgio de Chirico, celle dAldo Rossi ou dautres encore. Pas mal ditaliens, non ? Et de plus, certaines pièces ont été spontanément nommées en italien (« Stanzetta », « Tempietto »,
). Jimagine que cela provient du fait que notre tradition du théâtre et de la machinerie est arrivée dItalie ?
Le sous-titre « Le Scénographe & son Modèle /1 » cache-t-il aussi quelque allusion?
Cest, bien sûr, le décalque du fameux « Le Peintre & son Modèle ». « Le Scénographe & son Modèle » est le titre dune de mes peintures, une sorte dautoportrait dans lequel le scénographe a face à lui, non pas une jolie femme nue, mais bien la maquette quil vient de fabriquer (et « modèle » sentend, ici, au sens vieilli de « maquette », comme le dit bien Littré. Sens qui dailleurs est resté en anglais !). Il regarde cette maquette comme sil scrutait un miroir et cherchait à sy (re)connaître ce qui peut laisser entendre le travail du scénographe aussi comme une quête personnelle, une interrogation au plus profond de soi!
Et le « /1 »?
Parce que cest ici, le premier opus de ma rêverie autour du lieu de théâtre ! Je vais continuer à dérouler ce fil !